I. Jostock: La censure négociée: le contrôle du livre à Genève

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Titel
La censure négociée: le contrôle du livre à Genève 1560–1625.


Autor(en)
Jostock, Ingeborg
Reihe
Travaux d’Humanisme et de Renaissance, CDXXX
Erschienen
Genève 2007: Librairie Droz S.A.
Anzahl Seiten
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Pascal Delvaux

Publiée en 2007 dans la collection des Travaux d’Humanisme et de Renaissance, la thèse de doctorat d’Ingeborg Jostock a été soutenue en 2001 à l’Institut européen à Florence sous la direction de Laurence Fontaine. Le livre qui en constitue la forme commerciale compte quatre cent quarante pages d’un texte fort lisible au titre prometteur: La censure négociée. Le sous-titre éclaire mieux son objet et en fixe immédiatement le cadre: Le contrôle du livre à Genève 1560–1625. L’objet – la censure – est un topos de l’histoire classique du livre, dont l’un des plus beaux exemples de la littérature est assurément l’examen de la bibliothèque de Don Quichotte par le curé et le barbier. Daniel Roche ne rappelle-t-il pas en exergue à son article paru dans l’Histoire de l’édition française, que «la surveillance de tout ce qui a un rapport à l’imprimerie s’est organisée dès les origines»? Les ouvrages et articles sont nombreux, qui portent sur le contrôle et la police du livre. Des recherches récentes sur cet objet visent à en renouveler les contours. A titre d’exemple, toujours en 2007, le livre de Raymond Birn, La Censure royale des livres dans la France des Lumières, fait l’étonnante démonstration que les censeurs royaux ont protégé la liberté d’expression contre les attaques du Parlement et de l’Eglise. Paradoxalement, la censure aurait été l’alliée des Lumières et pourrait être pensée davantage comme un «arbitre culturel» qu’un «agent de répression». Circonscrit à l’espace de la petite ville de Genève, la question censoriale trouve dans le livre d’Ingeborg Jostock un nouveau souffle dans le concept très en vogue de négociation. D’abord pensé comme «une étude sur l’historien protestant Lancelot Voisin de La Popelinière», ce travail propose dans sa forme aboutie une réflexion bien plus intéressante, sous-tendue par la thèse suivante: la censure à Genève entre 1560 et 1625 doit être pensée comme une négociation résultant de la «tension permanente entre la volonté de contrôle doctrinal et moral et les freins imposés par les nécessités politiques et économiques». Le modèle explicatif ne semble pourtant pas propre au monde genevois et à la période retenue, puisque l’étude de Birn, citée ci-dessus, dit du siècle des Lumières que «le réalisme économique remettait en question la pureté idéologique». Mais restons-en à la lecture de Jostock et, pour bien saisir la démarche de l’auteur, prenons d’abord le livre comme il est ordonnancé.

Accompagné de son péritexte, le corps de l’ouvrage suit un plan chronologique organisé en trois temps qui forment, dans l’économie du récit, autant de parties distinctes. Cette structure bien équilibrée est ainsi précédée d’un court prologue sur Le monde du livre et la censure à Genève, permettant à l’auteur d’annoncer qu’il s’agit d’une «étude du monde du livre» et non d’une «analyse textuelle des ouvrages censurés». La distinction a son importance puisqu’elle explique la manière dont d’autres parties du travail sont arrangées, les listes d’ouvrages disposées en annexe, par exemple. Déjà dans l’introduction, l’orientation est donnée par le «point de départ» de cette recherche: «les positions et les décisions des autorités». Le corpus de sources est dès lors composé des Registres du Conseil, de ceux de la Compagnie des Pasteurs, des Procès criminels et des Pièces historiques, autant de documents manuscrits. Ceux-ci doivent éclairer les contextes sociaux, économiques et religieux qui ont accompagné les décisions de censure à Genève pendant près d’un siècle.

La première partie porte sur l’«âge d’or du livre réformé» (env. 1560–1580), marqué par une période de «cohésion confessionnelle». Ce qui intéresse ici Jostock, c’est avant tout la «diffusion du livre réformé», qu’elle décrit à travers quatre objets. D’abord la concurrence qui caractérise le marché de la bible et du psautier; ensuite l’émergence de la France protestante comme nouvel espace de diffusion; puis le procès de Vincent Brès, qui a imprimé et fait circuler un abécédaire hétérodoxe – que l’auteur interprète comme «la volonté plus générale des autorités d’endiguer le travail bâclé et médiocre des imprimeurs inexperts» –; enfin l’impression d’ouvrages des «adversaires», comme les éditions de Luther, la Somme de saint Thomas d’Aquin ou le Talmud.

La deuxième partie rend compte des dissensions entre le magistrat et la Compagnie des Pasteurs (env. 1570–1600). L’auteur propose de voir dans l’histoire du contrôle du livre genevois la «renégociation de l’équilibre politique». Sont détaillés quelques exemples de conflits qui se cristallisent autour des oeuvres des monarchomaques et montrent les difficiles conciliations entre les préoccupations diplomatiques et le «livre marchandise», pour lequel des autorisations conditionnelles sont accordées si l’ouvrage ne porte pas l’adresse de Genève. Par ailleurs, à la lumière des lectures «lascives» reprochées à des élèves de l’Académie, «brebis égarées» de l’enseignement réformé, appert une conception différenciée des livres dont l’impression doit être interdite dans la cité ou dont la page de titre doit cacher l’adresse genevoise. Pour le Conseil, l’importation d’ouvrages dont la fabrication dans les murs est refusée par la Compagnie nuirait au commerce genevois. Il semble que celle-ci trouve alors dans les autorisations conditionnelles un compromis judicieux. Pour montrer comment ces ouvrages immoraux sont expurgés, est présenté succinctement le travail effectué par Simon Goulard pour réécrire ou réviser les chansons de Lassus, la République de Bodin et les Essais de Montaigne.
Intitulée «La cité sur la montagne en quête d’affaires: identité confessionnelle et mentalité commerciale (env. 1600–1620)», la troisième partie développe plus avant des thèmes déjà mentionnés. Genève est considérée comme le «centre du monde réformé» garant de l’orthodoxie. A ce titre sont par exemple analysés les examens et vérifications pour lesquels la Compagnie des Pasteurs est sollicitée par les autorités réformées de France. L’étude des tensions entre le Conseil et la Compagnie est ensuite poursuivie. Puis viennent deux derniers chapitres concernant le marché catholique, indicateur de la fin du livre comme «instrument de propagande et de foi», et les querelles avec Lyon, nées de la concurrence entre la maind’oeuvre des deux villes.

Trois annexes sont ajoutées au corps de l’ouvrage. D’abord, sous le titre Documents relatifs au contrôle de l’imprimerie et de la librairie genevoises (1539–1625) et selon un ordonnancement chronologique, sont retranscrits septante-six extraits inédits – pour la plupart – des registres du Conseil et de la Compagnie des Pasteurs. Suivent Les documents relatifs au procès contre l’imprimeur Vincent Brès, contenant notamment une transcription du procès criminel conservée aux Archives d’Etat de Genève et des extraits des registres du Conseil et du Consistoire. Enfin, l’auteur donne pour les années 1560 à 1620 la liste chronologique de quatrevingt-deux Ouvrages interdits à Genève et de vingt-huit Ouvrages corrigés avant, durant ou après impression. La bibliographie contient une petite trentaine de «sources imprimées» – comprenez de correspondances, recueils de sources, registres et autres collections — publiés à quelques exceptions près au XXe siècle. Les «travaux» comptent quant à eux plusieurs centaines d’ouvrages et articles de référence. Un index permet enfin de retrouver les noms propres et quelques titres mentionnés dans le texte. On peut à juste titre regretter de ne pas trouver un répertoire des livres cités par l’auteur.

De la conclusion, retenons quelques points. D’abord la notion de «censure négociée» est pensée comme un processus impliquant des acteurs (Magistrat, autorité ecclésiastique et imprimeurs-marchands) mais dont «le résultat est secondaire ». L’important serait donc de saisir le changement des «rapports de force» qui le sous-tendent et l’«équilibre régnant entre les autorités de la ville». Ensuite deux modèles, le «livre-marchandise» et le «livre-idées», sont disposés l’un face à l’autre comme une tension essentielle de l’ouvrage. A ces catégories correspondent deux «circuits», dont l’un serait «commercial» – ou marchand – et l’autre celui des «idées». «L’autorité ecclésiastique adopte naturellement la conception du “livreidées” […]. Chez le magistrat domine en première ligne la conception du “livre marchandise”», même si la première est consciente des «réalités du monde des affaires» lorsqu’il s’agit de défendre les droits d’ouvrages religieux et que le Magistrat se soucie d’abord des bonnes relations diplomatiques de la cité. Le dernier point annonce les «atouts de l’histoire de la censure». Si l’on en croit Ingeborg Jostock, «L’histoire du livre et de la censure permet d’approfondir des champs de recherches très divers.» Voyons ceux-ci: histoire politique urbaine, histoire diplomatique, histoire sociale, histoire religieuse, etc. Sans insister longuement sur sa portée réductrice, une telle démarche attribue – probablement de manière involontaire – à ces deux champs distincts (livre et censure) un rôle de science auxiliaire de l’histoire, que l’on pensait disqualifié depuis longtemps. Mais les implications d’une telle position sont plus profondes et se révèlent dans les ancrages historiographiques et les choix épistémologiques de cette recherche. Renouant avec l’histoire des mentalités et l’histoire économique et sociale, l’auteur manie toute une série de catégories qui mériteraient d’être elles-mêmes analysées. Les oppositions sont trop immédiates entre «censure protestante» et «censure catholique», «livres-marchandises» et «livres-idées» ou encore «mentalité commerciale» et «identité confessionnelle». Que l’on pense à la réévaluation dont a été l’objet celle de «culture populaire». L’absence des termes «pratiques» et «représentations » dans le raisonnement montre la place ténue accordée aux questionnements proposés par la nouvelle histoire culturelle depuis plusieurs dizaines d’années. Ceux-ci sont à peine mentionnés dans un «état de la recherche». La démarche retenue pour cette thèse est d’ailleurs inscrite par Ingeborg Jostock dans la tradition des études portant sur le contrôle social ou le contrôle du comportement. Le livre perd ainsi toute sa matérialité et devient, à son tour, un objet dont l’unité singulière et significative disparaît. Le sous-titre de l’ouvrage assurait pourtant que la réflexion porterait sur le «contrôle du livre». Peut-être aurait-il fallu parler de contrôle des idées et préférer la notion de texte, puisque, dans un système de censure préalable, le manuscrit examiné n’est pas encore un livre.

Citation:
Pascal Delvaux: Compte rendu de: Ingeborg Jostock: La censure négociée: le contrôle du livre à Genève 1560–1625. Genève, Librairie Droz S.A., 2007. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 58 Nr. 3, 2008, pages 344-346.

Redaktion
Veröffentlicht am
31.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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